Le premier président de la Cour de cassation et les premiers présidents des cours
d’appel et des cours du travail,
Le procureur général près la Cour de cassation, les procureurs généraux près les
cours d’appel et le procureur fédéral,
1. Un État de droit efficace a besoin d'institutions stables qui fonctionnent parfaitement en toutes circonstances, aussi bien en période de prospérité que dans des situations de crise où les besoins de sécurité et d’application effective de la loi, tant pour les citoyens que les pouvoirs publics, sont élevés. Un système judiciaire indépendant et de qualité est un bien commun. Il est le fondement de la paix sociale, de la sécurité et du bien-être économique et social.
2. L'importance de ce message pour la société a déjà été soulignée plusieurs fois :
- Depuis déjà dix ans, le 20 mars, à l’occasion de la Journée de la Justice l’attention est attirée sur la nécessité d’une justice indépendante, accessible et efficace, non comme un privilège, mais comme une condition essentielle pour garantir la paix sociale et la confiance des citoyens
- Le 19 juin 2024, le Conseil supérieur de la Justice a fait des recommandations concrètes pour renforcer l'État de droit et optimaliser le service au citoyen.
- En juillet 2024, la Cour de cassation a averti, dans un mémorandum commun avec la Cour constitutionnelle et le Conseil d’État, que le respect et le renforcement de l’État de droit étaient plus nécessaires que jamais, et que toute atteinte à celui-ci devait être combattue dans l’intérêt de la société
- Dans sa mercuriale prononcée à l’occasion de la rentrée judiciaire 2024-2025, le Procureur général près la Cour de cassation a plaidé en faveur d’un dialogue constructif entre les trois pouvoirs de l’État, le présentant comme une condition sine qua non d’un État de droit résilient
- Le Collège des cours et tribunaux a constaté, dans son rapport du 20 février 2024, consacré à l’allocation des ressources humaines sur la base d’une mesure de la charge de travail objective, que la proportion de juges devrait être augmentée de manière substantielle pour que les cours et tribunaux puissent fonctionner normalement, autrement dit pour que les affaires soient traitées dans un délai raisonnable et sans engendrer un arriéré judiciaire
- Dans son Livre blanc de mai 2024, le Collège du ministère public a dénoncé le sous-financement endémique de la Justice belge en comparaison avec les budgets alloués dans de nombreux pays européens
- Le 5 juin 2025, les quinze procureurs du Roi ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre et à la ministre de la Justice : les parquets manquent cruellement de personnel, en raison de cadres législatifs dépassés et d’un manque d’attractivité des carrières judiciaires. La surcharge de travail oblige à faire des choix douloureux entre les dossiers à traiter ou à abandonner, faute de moyens humains et logistiques. Les bâtiments sont souvent insalubres et dangereux. La transition numérique est sans cesse retardée. Enfin, la sécurité du personnel judiciaire n’est plus assurée face aux menaces croissantes
- La Commission européenne appelle régulièrement la Belgique à améliorer la situation budgétaire de sa Justice.
3. Les récents mouvements de mécontentement des magistrats dans toutes les parties du pays ne visent pas à défendre des intérêts personnels mais les intérêts de l’État de droit et du justiciable, qui ont l’un et l’autre besoin d’un pouvoir judiciaire fort et indépendant, au sein duquel des magistrats compétents font rempart contre les violations des droits et libertés des citoyens et se portent garants de la protection des intérêts supérieurs de la société.
L’État a le devoir de garantir ces valeurs en respectant pleinement le statut de pouvoir de l’Etat que la Constitution reconnaît au pouvoir judiciaire et en finançant la Justice de manière à ce que chaque juridiction soit en mesure de rendre des décisions judiciaires de qualité dans un délai raisonnable. Tout manquement à ce devoir peut en effet conduire à un affaiblissement de l’État de droit, ce qui touche chaque citoyen individuellement.
POUR CES RAISONS,
LES PREMIERS PRÉSIDENTS DE LA COUR DE CASSATION, DES COURS D’APPEL ET DES COURS DU TRAVAIL, LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR DE CASSATION, LES PROCUREURS GÉNÉRAUX PRÈS LES COURS D’APPEL, ET LE PROCUREUR FÉDÉRAL,
Dans l’intérêt de la société,
Appellent le Gouvernement fédéral et la Chambre des représentants à reconnaître pleinement le Pouvoir judiciaire comme un Pouvoir de l’État, en lui reconnaissant le statut garanti par la Constitution mais aussi en lui accordant le financement nécessaire afin de permettre une justice de qualité au service du justiciable.
Cette reconnaissance et ce financement impliquent les mesures suivantes :
STATUT, BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL ET SÉCURITÉ
➢ Reconnaître pleinement le rôle social du juge et du procureur en revalorisant leur statut, y compris leur régime de pension, mais aussi en rendant plus attractives toutes les fonctions juridiques et administratives de soutien au sein de la justice.
➢ Accorder d’urgence une attention accrue au bien-être au travail, en réalisant les travaux d’entretien ou de rénovation nécessaires dans l’ensemble des bâtiments judiciaires, et en garantissant la sécurité de tous les acteurs judiciaires dans l’exercice de leur profession.
FINANCEMENT ET CADRES
➢ Dans l’intérêt d’une protection juridictionnelle du citoyen qui soit à la fois rapide et de qualité, remplir tous les cadres légaux et réglementaires des magistrats, des référendaires/juristes de parquet, des greffiers/secrétaires de parquet et des autres membres du personnel judiciaire, lorsque les autorités judiciaires en font la demande, et les élargir lorsque la mesure de la charge de travail en démontre la nécessité.
INFORMATIQUE JUDICIAIRE
➢ Poursuivre les investissements dans l’informatique judiciaire et dans la numérisation des décisions, des dossiers et des procédures
ÉTAT DE DROIT
➢ Libérer les moyens pour exécuter de manière effective toutes les décisions judiciaires : il ne s’agit pas seulement de l’exécution effective des peines de prison, mais aussi de la mise en oeuvre concrète des décisions de justice restauratrice et des mesures alternatives, des actes d’instruction (expertises, traductions) et de la prise en charge effective et adaptée des personnes souffrant de troubles psychiques, des jeunes en difficulté et des demandeurs d’asile.
DIALOGUE
➢ Manifester la volonté d’un dialogue sincère entre les Pouvoirs de l’État, en accordant dans le cadre de la présente déclaration, en plus de l’attitude constructive manifestée par la ministre de la Justice et le président de la Commission de la Justice, aux représentants du pouvoir judiciaire un entretien avec le Premier ministre (pouvoir exécutif) et le président de la Chambre des représentants (pouvoir législatif).
➢ Persévérer avec détermination dans le dialogue entre les trois pouvoirs de l’État, initié par le Conseil supérieur de la Justice
➢ Soutenir concrètement et mettre en oeuvre, avec le courage et les décisions budgétaires que cela implique, les résultats des « taskforces Justice » créées par la ministre de la Justice à la demande du Collège des cours et tribunaux, du Collège du ministère public et de la Cour de cassation.
➢ Ce dialogue doit permettre de redonner des perspectives à la Justice, de mettre un terme clair à des décennies de négligence, avec l’engagement des trois pouvoirs de l’État, et de garantir une justice de qualité pour l’avenir, grâce à un refinancement substantiel et à des plans concrets pour les différents domaines problématiques.
Fait à Bruxelles, à la Cour de cassation, le 27 juin 2025
Eric de Formanoir - Premier président de la Cour de cassation
Ria Mortier - Procureur général près la Cour de cassation
Laurence Massart - Premier président de la cour d’appel de Bruxelles
Bart Willocx - Premier président de la cour d’appel d’Anvers
Evelyne Lahaye - Premier président de la cour d’appel de Liège
Michel Oosterlinck - Premier président de la cour d’appel de Gand
Philippe Morandini - Premier président de la cour d’appel de Mons
Gaby Van den Bossche - Premier président de la cour du travail de Bruxelles
Katrin Stangherlin - Première présidente de la cour du travail de Liège
Dirk Torfs - Premier président de la cour du travail d’Anvers
Vincent Dooms - Premier président de la cour du travail de Gand
Philippe Lecocq - Premier président de la cour du travail de Mons
Frédéric Van Leeuw - Procureur général de Bruxelles
Erwin Dernicourt - Procureur général de Gand
Pierre Vanderheyden - Procureur général de Liège
Guido Vermeiren - Procureur général d’Anvers
Ingrid Godart - Procureur général de Mons
Ann Fransen - Procureur fédéral