Traite des êtres humains. Plus proche que vous ne le pensez.

Exploitation sexuelle, esclavage, mariages forcés... Ce ne sont là que quelques-uns des crimes liés à la traite des êtres humains. Et ils sapent des principes importants de notre société. Mais qu'en est-il de la traite des êtres humains aujourd'hui ? Quelles sont les formes les plus courantes ? Et comment le ministère public s'en occupe-t-il ? Charles-Eric Clesse, auditeur du travail à l’auditorat du travail de Hainaut, fournit plus d’informations à ce sujet.

Charles-Eric Clesse : « La traite des êtres humains est l'un des trois crimes les plus importants au monde, avec le trafic de drogue et le trafic d'armes. En 1995, la Belgique a adopté une loi définissant, entre autres, ce qu'est la traite des êtres humains. Ce faisant, nous avons été l'un des premiers pays au monde à avoir une législation, alors que la traite des êtres humains figure parmi les principaux crimes à l'échelle internationale. Dans notre pays, il en existe 5 formes : l'exploitation de la prostitution, le travail et les services contraire à la dignité humaine, l'exploitation de la mendicité, le prélèvement d'organes et enfin, le fait de forcer quelqu'un à commettre des infractions, par exemple, forcer quelqu'un à voler ou à faire le commerce de la drogue. Pour être punissable dans notre pays, il suffit qu'il y ait un "acte", à savoir : recruter, transporter, héberger, contrôler, etc. et un but. La Belgique va beaucoup plus loin dans ce domaine que les lois internationales, et nous condamnons donc davantage. »

Poussé par l'argent

La traite des êtres humains est pratiquée pour des raisons économiques. C'est un crime qui génère d'énormes sommes d'argent dans le monde entier.

Charles-Eric : « La traite des êtres humains est dans le top 3 des crimes les plus rentables au monde. Dans le monde entier, des milliards de dollars de bénéfices sont en jeu. Quand on voit le profit que l'on peut tirer de l'exploitation d'une seule personne... Par exemple, en France, il y a eu un cas de jeunes filles et garçons exploités par plusieurs membres masculins de leur clan rom et obligés de voler dans le métro. L'une des filles a réussi à récolter près de 15 000 euros par jour. Il s'agissait non seulement d'argent, mais aussi de biens tels que des produits Chanel et Hermès. Un autre exemple tiré de notre propre pays, où l'exploitation économique et les intérêts financiers étaient primordiaux, est une affaire impliquant un homme pakistanais dans un magasin de nuit. L'homme devait être présent dans le magasin 24 heures sur 24. Un morceau de matelas avait été placé dans le comptoir afin qu'il puisse y dormir pendant la journée et garder la boutique ouverte la nuit. Il gardait ainsi le magasin la nuit et ouvrait et vendait en journée et soirée. Si vous devez employer deux personnes pour garder le magasin et pour vendre, les charges sociales sont très élevées et donc le bénéfice est réduit... »

 

 

« La plupart des gens pensent que traite des êtres humains s’agit de grands réseaux internationaux dans lesquels la victime est étrangère, mais il pourrait tout aussi bien être pratiquée en Belgique par des Belges avec des victimes Belges. »  - Charles-Eric Clesse (auditeur du travail - auditorat du travail de Hainaut)

 

L'esclavage moderne

En Belgique, environ 23 000 personnes sont victimes de la traite des êtres humains. Les conséquences pour les victimes sont incalculables.

Charles-Eric : « La traite des êtres humains est une atteinte à la dignité humaine. Les victimes sont souvent physiquement affectées par l'exploitation. Nous avons eu des cas où des victimes d'accidents graves ont été mises à la porte de l'hôpital par leur employeur. L'employeur s'enfuit alors, car ses employés n'ont pas été correctement déclarés et n'ont pas d'assurance. Il y a aussi les problèmes psychologiques qui se posent. Enfin, il y a aussi des problèmes financiers, car souvent les victimes travaillent gratuitement. Ils ne reçoivent pas de salaire pour le travail effectué et n'ont souvent pas non plus de logement (officiel). »

Il y a énormément de victimes dans notre pays, mais le problème reste encore trop peu visible pour la population générale.

Charles-Eric : « La population ne comprend pas encore très bien ce qu'est la traite des êtres humains, car le sujet est encore trop peu abordé. La plupart des gens pensent qu'il s'agit de grands réseaux internationaux dans lesquels la victime est forcément étrangère, mais il pourrait tout aussi bien s'agir de votre voisin. La traite des êtres humains est plus proche de nous que vous ne le pensez et est également pratiquée en Belgique par des Belges. Par exemple, nous avons eu le cas d’une grand-mère belge de 65 ans qui tenait une taverne dans notre pays. Elle faisait travailler deux personnes âgées de 80 ans, belges également, sans les payer, les faisant vivre dans des caravanes insalubres et en leur volant leur pension. Son petit-fils de 13 ans n'était pas autorisé à aller à l'école et devait travailler tous les jours dans la taverne, livrer des journaux et vendre des légumes le soir. S’il n’était pas assez docile, sa grand-mère le frappait ou lui jetait des boîtes de conserve au visage, ce qui lui a valu d'avoir le nez cassé à deux reprises. »

« En vivant ces histoires de près, on se rend compte que les étrangers ne sont pas les seules victimes. Lorsque nous parlons d'esclavage ou d'exploitation, nous pensons au 16e, 17e ou 18e siècle. Eh bien, l'esclavage que nous avons connu pendant des siècles existe encore aujourd'hui dans tous les pays du monde. C'est un crime moderne qui prend de nombreuses formes. »

« Je voudrais donc appeler tout le monde à signaler à la police ou aux différents centres de signalement en ligne (www.meldpuntsocialefraude.belgie.be et le tout nouveau : www.stophumantrafficking.be) tout cas suspect pouvant indiquer un trafic d'êtres humains. De nombreuses personnes n'osent pas franchir cette étape car elles craignent que cela leur cause des problèmes si elles accusent un exploiteur. Sachez que lorsque vous dénoncez à une inspection du travail des faits de droit pénal social, de travail au noir et donc de traite des êtres humains, votre anonymat est assuré. »

Mener la bataille

La traite des êtres humains est l'un des sujets les plus abordés par les auditorats du travail de notre pays, compte tenu de leur expertise et de leur spécialisation en droit social. C'est également le cas à l'auditorat du travail de Hainaut, où travaille Charles-Eric Clesse.

Charles-Eric : « Un auditorat du travail est un parquet spécialisé en droit social. Nous portons en fait deux casquettes : une civile et une pénale. Le civil signifie que nous recevons des plaintes d'assurés contre une administration. Ils ne sont pas d'accord avec une décision qu'ils ont reçue concernant l'ONEM, les pensions, l'assurance maladie et l'assurance invalidité, par exemple, et demandent à la Justice de revoir la décision. Nous demandons ensuite les dossiers à toutes les institutions de sécurité sociale et recueillons des informations auprès de la police, de l'inspection sociale, des employeurs, des voisins, etc. Une fois que nous avons constitué le dossier, accompagné de notre avis, il est transmis au tribunal du travail, qui décide de suivre ou non notre avis. Notre rôle est donc de vérifier que la législation est respectée. »

« La deuxième partie de notre travail est le volet pénal où nous vérifions si les employeurs, notamment, respectent les lois sociales. Pour cela, nous avons l'aide des services d'inspection sociale et de la police qui effectuent des contrôles auprès des entreprises et des employeurs. Ils vérifient, entre autres, si les travailleurs ont été correctement déclarés, s'ils disposent d'une assurance accident, s'ils ne travaillent pas illégalement, etc. La traite des êtres humains relève de cette partie de notre travail. »

Ce qui est certain, c'est que la Belgique continuera à mener la lutte contre la traite des êtres humains.

Charles-Eric : « La politique du ministère public est déterminée par une circulaire du Collège des procureurs généraux. Elle harmonise la politique criminelle tant pour les auditorats du travail que pour les parquets. Nous avons l’obligation de poursuivre et l’interdiction de transiger avec les auteurs de ces actes. Ce sont des crimes contre la dignité humaine, c'est pourquoi de lourdes sanctions sont imposées aux auteurs de ces actes. A la pointe, la Belgique a beaucoup à apporter en Europe et dans le reste du monde dans le domaine de la traite des êtres humains. Plusieurs experts belges sont régulièrement invités à l'étranger pour partager leurs connaissances et leur expertise. »

 

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