1 personne sur 4 subit des violences à un moment donné de sa vie. La magistrate Veerle Cielen explique quels types de violence sont les plus courants.

Chaque année, le ministère public reçoit en moyenne 50 000 procès-verbaux concernant des violences intra-familiales. Quels types de violence sont les plus courants ? Quel peut être le facteur déclencheur ? Et quelle politique mène le ministère public ? Veerle Cielen, premier substitut au parquet du Limbourg, apporte un éclairage supplémentaire sur cette question.

Veerle Cielen : « Le ministère public reçoit chaque année un total de 50 000 procès-verbaux pour violences intrafamiliales. C'est un nombre très important. Il s'agit uniquement de procès-verbaux émanant de la police, lorsqu'un signalement a été fait à la police ou lorsque quelqu'un a contacté la police en réponse à une situation inquiétante. Il y aura toujours de nombreuses situations violentes dont nous n'avons pas connaissance parce qu'aucune plainte n'a été déposée auprès de la police. Par ailleurs, il est rare que les gens se rendent immédiatement à la police dès les premiers coups. En moyenne, 35 incidents surviennent avant que la démarche auprès de la police ne soit engagée. En fait, la violence au sein de la famille est la forme de violence la plus courante à laquelle 1 personne sur 4 sera confrontée à un moment donné de sa vie.»

Obstacles

Le premier pas est encore trop difficile à franchir pour de nombreuses victimes aujourd'hui. C'est une chose que Veerle aimerait voir changer.

Veerle : « Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les victimes ne portent pas plainte immédiatement. Toutes vos sécurités sont en jeu : financière, les enfants, les conditions de vie... Il faut être prêt à se jeter dans le grand bain. Les barrières existantes doivent également être franchies par les victimes. Par exemple, de nombreuses femmes considèrent comme un obstacle le fait de devoir d'abord prendre rendez-vous par voie numérique pour déposer une plainte au commissariat de police. Cela vise évidemment à optimiser les opérations, mais nous devons voir quel effet cela a dans la réalité. »

« Il arrive également que les victimes soient plus enclines à signaler un problème à la police plutôt que de déposer une plainte officielle. Mais elles ne peuvent pas. Selon la circulaire sur la violence entre partenaires, un procès-verbal de police doit être établi. Après tout, il est important pour nous, représentants du ministère public, de pouvoir constituer des dossiers et d'avoir une vue d'ensemble de tous les faits. C'est pourquoi il est si essentiel de disposer d'organisations de soutien où les victimes peuvent se rendre rapidement et facilement pour obtenir des conseils, de l'aide et de l'assistance. »

« Je rêve d'un centre de soins pour les victimes de violences intrafamiliales où il y aurait une collaboration avec différents partenaires. Et où les femmes et autres victimes peuvent se rendre pour obtenir de l'aide, où elles peuvent déposer une plainte... C'est en analogie avec le Centre de soins pour donner suite à des violences sexuelles. La violence intrafamiliale est un problème complexe et diversifié, sur lequel nous devons coopérer avec des professionnels experts en la matière. En effet, il existe souvent des problèmes sous-jacents qui jouent un rôle dans cette violence. »

5 types de situations de violence

La violence intrafamiliale ne peut être classée dans une seule catégorie. Il existe différents types de situations de violence qui jouent un rôle ou qui constituent un élément déclencheur de la violence.

Veerle : « Une étude récente de l'Institut néerlandais Verwey-Jonker sur la violence dans les familles et les moyens d'y mettre fin a distingué cinq profils de situations de violence. Et chacun de ces profils de violence nécessite une approche particulière. Un premier profil est le terrorisme intime, qui implique un contrôle, une coercition, des abus, une peur extrême et une violence qui ne s'arrête pas lorsque la relation prend fin. C'est aussi un profil dans lequel on rencontre souvent le harcèlement. Je me souviens d'un cas où nous avions imposé une ordonnance d'interdiction temporaire de résidence à la suite de graves violences. La femme s'est présentée à l'audience et son partenaire l'avait violemment battue, non seulement avec ses poings, mais il lui avait presque entièrement coupé les cheveux et les cils. C'était très violent à voir et un exemple clair de terrorisme intime où l'homme voulait un contrôle absolu sur la femme. »

« Un autre profil est la violence situationnelle. Il s'agit souvent d'une violence mutuelle, ce qui rend difficile de déterminer qui est l'auteur et qui est la victime. Le déclencheur est un ou plusieurs facteurs de stress, tels que les finances, l'éducation des enfants, l'absence de logement décent, souvent accompagnés d'abus d'alcool.  C'est le type de violence que nous voyons le plus souvent au parquet du Limbourg. »

«  Un troisième profil est le stress parental, lorsque la violence dans la famille est liée à de graves problèmes de comportement des enfants. Dans ce cas, les parents ne savent pas comment gérer la personnalité et/ou les problèmes de comportement des enfants. Le comportement de l'enfant peut également être le résultat de la violence au sein de la famille. Un quatrième profil est le besoin de soins de longue durée, impliquant des personnes souffrant de déficiences intellectuelles ou de problèmes psychiatriques. »

« Le dernier et cinquième profil est celui des séparations conflictuelles complexes. Malheureusement, nous avons vu ce phénomène augmenter énormément ces derniers temps. Lorsque les parents se séparent, ils essaient de mettre des bâtons dans les roues de l'autre. Ils utilisent toutes les procédures possibles pour prouver leurs arguments. Par exemple, chaque partie est convaincue d'être le meilleur parent et le seul à avoir à cœur les intérêts des enfants. Il est souvent extrêmement difficile d'avoir une vision claire de la situation. Il y a aussi beaucoup d’instances impliquées. Ils vont du tribunal de la famille, de la police, du parquet, de la protection de la jeunesse, du palais de justice aux médiateurs et aux avocats. Tout le monde est impliqué dans cette famille et tout le monde n'a pas les mêmes informations. »

Les situations de violence au sein d'une famille ont toujours un impact important sur les enfants de cette famille.

Veerle : « Les enfants sont victimes de parents qui suivent leurs propres règles. Ils ont alors aussi une incroyable loyauté envers leurs deux parents. Lorsqu'ils sont ensuite confrontés à des situations aussi violentes, vous obtenez des enfants déchirés. C'est douloureux à voir. Douloureux car ils se retrouvent souvent dans la même situation que des adultes. C'est un sac à dos qu'ils portent pour le reste de leur vie et qui jouera un rôle dans leurs relations futures. C'est déchirant et ce sont des choses qui me touchent encore et toujours. »

 

« Le rôle du ministère public est avant tout d'assurer la sécurité. Nous devons réagir de manière appropriée et le plus rapidement possible. » - Veerle Cielen, premier substitut au parquet du Limbourg

 

Assurer la sécurité

Faire disparaître complètement la violence du monde est une utopie. Néanmoins, en tant que représentants du ministère public, nous devons être en mesure d'intervenir à temps.

Veerle : « Le rôle du ministère public est avant tout d'assurer la sécurité. Nous devons réagir de manière appropriée et le plus rapidement possible. Ce faisant, il est important de connaître le profil ou le type de violence auquel nous avons affaire afin d'adapter au mieux notre approche. Nous savons que la violence intrafamiliale ou la violence entre partenaires implique souvent une accumulation de tensions, le cercle de la violence, qui conduit à une explosion (de violence). Après cela, vous obtenez la réconciliation. Et quand les personnes se sont réconciliées, en tant que représentant du parquet, vous ne devez pas vous en détacher comme ça. Ensuite, l'élan est terminé. Nous devons signaler au bon moment qu'une ligne a été franchie et que les gens sont allés trop loin. »

« Avant, l'accent était mis sur les poursuites judiciaires. Ce n'est que longtemps après l'infraction que vous obtenez un verdict comportant principalement une peine d'emprisonnement qui, concrètement, se transforme en un bracelet à la cheville. Pour moi, une peine de prison est la toute dernière option. En pratique, à ce moment-là, le couple est souvent encore ensemble et le partenaire revient à la maison avec son bracelet électronique et ils sont toujours dans une situation tendue. Ce qui arrivait souvent aussi, c'est que, après la violence du partenaire, la femme quittait temporairement la maison avec les enfants. L'agresseur est alors resté dans la maison. Bien sûr, ce n’est pas le but. C'est le monde inversé. Cela conforte presque le comportement de l'agresseur. Mais c'était une "solution" rapide. Une "solution" qui a eu de nombreuses conséquences négatives pour la femme et les victimes. »

 

« Nous devons travailler avec différents partenaires pour que les gens aient une réelle conscience et puissent bénéficier d'une bonne assistance. » - Veerle Cielen, premier substitut au parquet du Limbourg

 

Signal fort

Veerle : « Nous ne pouvons tout simplement pas non plus convoquer tous les cas. Ce n'est pas notre intention. Ce que nous devons faire, c'est apporter une réponse forte de la part du ministère public. Nous avons plusieurs options à notre disposition. Nous pouvons le faire avec une probation prétorienne comme l'ordonnance d'éloignement, l'ordonnance d'éloignement temporaire et/ou la proposition de suivre une formation ou une thérapie par la médiation et les mesures. Avec l'ordonnance d'interdiction temporaire, nous imposons à l'agresseur une interdiction de domicile et de contact pendant 14 jours... Avec cette ordonnance restrictive, nous assurons un calme temporaire pour que les gens puissent réfléchir. Comment voyons-nous l'avenir ? Sur quoi travaillons-nous ? Ce faisant, il est important que la Maison de la justice commence immédiatement à travailler avec l'assistant de justice pour voir si une orientation vers un service de soutien psychologique est possible. Le tribunal de la famille reçoit le rapport de l'assistant de justice qui indique comment les parties se comportent l'une envers l'autre, dans quels domaines de leur vie il y a des problèmes et comment elles voient leur relation. Le tribunal statue ensuite sur l'ordonnance d'interdiction dans un délai de 14 jours. Sera-t-elle prolongée à trois mois ou sera-t-elle levée ? »

« Parfois, nous combinons l'ordonnance d'interdiction temporaire avec une assignation en procédure accélérée, lorsqu'il y a des blessures graves, par exemple. Ensuite, nous devons signaler qu'une conséquence pénale est effectivement nécessaire. Cependant, en tant que représentants de la police et de la justice, nous ne pouvons pas nous attaquer seuls à ce problème. Nous pouvons assurer une sécurité à court terme, mais nous ne pouvons pas à nous seuls assurer un changement de comportement et une sécurité durable au sein des familles. Nous devons travailler avec différents partenaires pour que les gens aient une réelle conscience et puissent bénéficier d'une bonne assistance. Notre dénominateur commun est de responsabiliser les gens.»

La société a également un rôle important à jouer dans la prévention de la violence, selon Veerle.

Veerle : « Il est important de s'investir davantage dans la communication non violente. Il ne s'agit pas seulement de violence physique, mais aussi de violence verbale. Il s'agit d'exprimer vos sentiments et de faire passer votre message à l'autre partie de manière non violente. Cet aspect devrait être intégré dans le programme scolaire afin que les enfants l'apprennent dès leur plus jeune âge. En outre, après une rupture, il est important que les couples continuent à bien communiquer pour le bien des enfants. Cette question est déjà abordée par les tribunaux de la famille dans le cadre des processus de médiation, mais elle ne devrait pas venir uniquement de ce côté. Elle devrait être plus clairement mise en avant dans toute la société afin de mieux prévenir la violence. »

 

 

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